10 novembre 2012

Portugal (one shot), Cyril Pedrosa


"J'avais une furieuse envie d'acheter du tabac. Après deux ans sans fumer une seule clope... Le pire, c'est que je m'en foutais copieusement. En fait, j'étais vraiment ravi d'avoir été invité par ce festival. Plus de vingt ans que je n'étais pas venu. Mes premiers pas d'adulte dans ce pays. J'étais fasciné et heureux. Un vrai crétin. Et je me demandais bien d'où venaient cette étrange colère puis cette douce mélancolie qui m'étaient tombées dessus sans crier gare en moins de 24 heures".
La vie est grise. Simon Muchat, auteur de bandes dessinées, est en panne d'inspiration et son existence est en perte de sens. Invité à passer quelques jours au Portugal, il retrouve par hasard ce qu'il n'était pas venu chercher : les odeurs de l'enfance, le chant des rires de vacances, la chaleur lumineuse d'une famille oubliée - peut-être abandonnée. Quel est le mystère des Muchat ? Pourquoi Simon se sent-il de nulle part ? Et pourquoi, sans rien comprendre de cette langue étrangère, vibre-t-il à ses accents ?
Coup de cœur !

Portugal, c'est ce (déjà !) monument de la BD, signé par Pedrosa, abondamment encensé par la critique et récompensé du Fauve d'Angoulême et du prix de la BD Fnac en 2012. Ma première rencontre avec Pedrosa date de ses sympathiques planches d'"Auto bio"dans Fluide Glacial, puis ce fut le coup de cœur avec l'excellent Trois Ombres que je compte prochainement relire puisqu'il va rejoindre sous peu mes étagères. Pedrosa avait alors montré qu'il était capable de signer des œuvres complexes et profondes, teintées de nostalgie et de mélancolie.


C'est donc dans la digne lignée de Trois Ombre que s'impose Portugal, ce récit largement inspiré de la propre histoire de l'auteur, où il est question de parcours initiatique, d'introspection, de souvenirs de famille et de quête d'identité. Savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va... C'est un peu par hasard que Simon Muchat, qui peine à retrouver l'envie d'écrire et de dessiner, est invité dans un petit festival au Portugal. Sur place, c'est le choc : les odeurs, les couleurs, le goût du vent et la musicalité des dialogues font remonter en lui des souvenirs depuis longtemps enfouis. Le besoin de connaître sa propre histoire le pousse à s'intéresser à celle de ces ancêtres. Petit à petit, Simon marche dans les traces effacées de ses aïeux et recolle les morceaux d'une histoire familiale à la fois anodine et extraordinaire, comme il en existe tant d'autres.

Récit universel, Portugal trouve un écho en chacun de nous car les 260 pages de cette œuvre fleuve agitent de nombreuses questions sur les rapports que nous entretenons avec notre propre famille. On est profondément touché par le désir pressant de Simon de soudain découvrir qui sont réellement les gens qui l'entourent, quelles ont été leurs vies, leurs espoirs et leurs désillusions. Pedrosa nous parle de transmission, et l'on ne peut refermer cette bande dessinée sans se demander ensuite ce qu'il en est de notre propre histoire.


Mais Portugal est également une plongée dans un univers graphique puissant et métissé. On reconnaît aisément le trait de Pedrosa, aérien et délicat, mais ce sont surtout les couleurs grandioses qui font le sel de cette œuvre dense qui ne souffre d'aucune longueur. On découvre ici un Pedrosa novateur qui déploie des merveilles d'originalité dans la mise en couleur, s'amusant avec les effets de transparence et de textures pour aboutir à des ambiances très marquées. On se promène entre les planches bigarrées et chaleureuses du pays qui émeut tant Simon, l'intimité d'une scène de nuit autour d'un bon feu et les aubes lumineuses où seul le bruit des oiseaux vient troubler le calme de la campagne. Portugal, c'est un émouvant voyage au cœur d'une histoire ordinaire impeccablement servie par un dessin et une mise en couleur exigeante. Une pièce maîtresse de la BD, à lire et à posséder absolument.


Portugal, Cyril Pedrosa
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
Paru en 2011
261 pages
35 €
One shot
ISBN 978-2-8001-4813-7

19/26

8 mot(s) doux:

  1. Tu devrais lire Daytripper si tu en a l'occasion :)
    Je suis sûr que ça te plairait aussi, au vu des éloges (amplement méritées) que tu fais à Portugal.

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  2. Rien à dire, excellente chronique mon amour
    ... et je t'aime <3

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  3. @ Lunch : je devrais recevoir Daytripper bientôt, je l'avais bien remarqué aussi !

    @ Choupi : celui là je l'ai publié hein ;D

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  4. Waou mais quel chronique!!! Tu as enfin puis te plonger dans Portugal et en plus de cela tu n'en est pas déçu. =) On te croise au club de lecture pour t'entendre venter tous les mérites de cette jolie BD.

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  5. Je viens de le finir. Tout est dit dans ta chronique. Bel hommage à cette oeuvre, l'histoire et le dessin de Pedrosa.
    Bravo!

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  6. Merci pour cette belle critique détaillée. Lorsque l'on traverse des périodes de doutes ou une crise de sens, l'homme a alors tendance à se tourner vers ses racines afin de reprendre pied, se retrouver et se reconstruire. La plongée dans le passé familial rejoint le travail d'introspection.

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  7. @ Bea : j'étais inspirée ! ^^

    @ Sindbad Nadir : merci du compliment ! Je pense que je relirai souvent ce superbe ouvrage qui fait beaucoup réfléchir...

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