14 septembre 2013

La Horde du Contrevent, Alain Damasio


Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueule, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont.
Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime.
Coup de cœur !

Cela fait maintenant plusieurs semaines que je repousse inexorablement cette chronique... Pourquoi ? Parce que la Horde du Contrevent, c'est un truc unique. Et qu'à vrai dire, je ne sais pas trop comment en parler. Le but étant avant tout de vous donner envie de le lire, je dois arriver à mettre de l'ordre dans le fouillis de mes émotions, les mots qui se pressent au bout de mes doigts, ce bouillonnement furieux qui me fait trébucher et m'emmêler à chaque fois que j'ouvre la bouche ou une feuille pour en parler.

Soyons donc économe, plutôt que de se laisser emporter par le flot qui me fait sauter du coq à l'âne, du style aux personnages, de la forme au fond. La Horde du Contrevent est une expérience de lecture unique. Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose de ce blabla pour le moins embrouillé, c'est celle-ci. Je suis loin de prétendre avoir tout lu, mais j'ai feuilleté assez de pages dans ma vie pour reconnaître une telle pépite quand j'en vois une. 
A l'origine fut la vitesse, le pur mouvement furtif, le "vent-foudre".
Puis le cosmos décéléra, prit consistance et forme, jusqu'aux lenteurs habitables, jusqu'au vivant, jusqu'à vous.
Bienvenue à toi, lent homme lié, poussif tresseur des vitesses.
Si je me forçais à la concision, je vous dirais que l'histoire en elle-même n'est pas le plus important. Elle peut plaire, mais j'admets sans difficultés le contraire, et pour être tout à fait honnête, je l'ai trouvée parfois un peu inégale et j'ai deviné un certain nombre de ficelles. Les personnages, nombreux, la narration alternée et l'originalité de la forme en font une œuvre qui n'est pas forcément facile à appréhender et qui demande un peu d'obstination. Une fois dedans, en revanche, on ne peut que s'émerveiller de l'imagination fertile et de l'audace d'Alain Damasio, conteur hors-pair, virtuose de la langue. Délicat, voire impossible de décrire correctement la magie de ses phrases... je ne peux que vous encourager vivement à le découvrir par vous-même.
Caracole s’est levé pour jouer du cromorne. Il entame une mélodie agitée puis l’allège et l’harmonise, se rassoit, semble entrer en lui-même et pose tranquillement son instrument, en nous dévisageant gravement. Lorsqu’il reprend la parole, son ton est simple et direct :
- N’acceptez pas que l’on fixe, ni qui vous êtes, ni où rester. Ma couche est à l’air libre. Je choisis mon vin, mes lèvres sont ma vigne. Soyez complice du crime de vivre et fuyez ! Sans rien fuir, avec vos armes de jet et la main large, prête à s’unir, sobre à punir. Mêlez-vous à qui ne vous regarde, car lointaine est parfois la couleur qui fera votre blason.
Il marque une ultime pause, ses yeux rivés dans les nôtres, comme s’il y cherchait un écho impossible, une fraternité de résonance qu’aucun de nous ne peut lui offrir, là où il la rêve – ou l’attend. Il se lève, en faisant claquer rythmiquement ses syllabes, et il achève :
- Le cosmos est mon campement. »
Petit plus : La Horde du Contrevent est actuellement adapté en  film d’animation 3D par Jan Kounen chez les studios Forge Animation. Pas de réelle date de sortie prévue, mais on sait déjà que ce sera entièrement tourné en langue anglaise et aura pour titre "Windwalkers : Chronicle of the 34th Horde". Et les premières recherches design sont plutôt alléchantes...


La Horde du Contrevent, Alain Damasio
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Paru en 2007
700 pages
10.50 €
ISBN 978-2-07-034226-6
Grand Prix de l'Imaginaire 2006
Prix Imaginales des Lycéens 2006

7 mot(s) doux:

  1. Ca fait un bon moment que ce titre est dans ma PAL (au secours, trop de livres à lire !). Il faudrait décidément que je l'en sorte, on me l'a beaucoup conseillé :) !

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  2. Ouaip... j'ail lu tellement d'avis différents sur ce bouquin... j'ai fini par lecommander. Mais je crois que je commence à regretter. Tout le monde à l'air de prendre ce livre du bout des doigts et s'accorde à dire "en tout cas c'est unique"

    Après avoir lu les extrait le mystère se désépaissit un peu... J'ai horreur des gens qui font du blabla pour que tout le monde pense que ce sont des aliens...

    Verdict la semaine prochaine, Mr. Damasio je vous attend de pied ferme.

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  3. Je me demande si on peut réellement prétendre adapter une telle oeuvre, aussi "littéraire", qui repose autant sur la magie des mots...
    C'est là aussi qu'on touche une limite de la publication dans des collections dédiées. Car "La Horde..." est difficilement réductible à de la SF. A lire absolument, un week-end de pluie et de vent, en buvant des litres de thé chaud.

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  4. Un vrai coup de coeur pour moi aussi. Personnellement, j'ai trouvé que l'histoire et la narration importaient autant que le style. Certes, certains événements se devinent mais l'ensemble est tout à fait bluffant. Quant aux personnages, ils sont de ceux que l'on n'oublie pas !

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  5. Cela ne m'étonne pas que tu aies repoussé l'écriture de cette chronique :) "Expérience" c'est vraiment le mot qui définit cette lecture !
    Dis donc, je ne savais pas qu'il serait adapté. A l'époque, on parlait d'un film, mais c'était une idée. Chouette !

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  6. j'adore la SF mais là, je n'ai pas tant accroché que cela

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  7. Et voilà, fini...
    Dans l'ensemble, j'ai bien aimé même si je n'ai pas toujours accroché à 100%.

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