22 août 2013

L'espoir, cette tragédie, Shalom Auslander


Calme et sérénité, c'est tout ce que Solomon Kugel espérait trouver en s'installant avec mère, épouse et enfant dans cette vieille bâtisse perdue en pleine campagne. 
Raté ! Car allez trouver la paix quand votre femme vous accable de reproches, que votre mère vous bassine avec la Shoah qu'elle-même n'a pas vécue, et qu'un pyromane sévit dans la région. Mais ce qui pourrait bien achever de vous rendre fou, ce sont ces bruits incessants au grenier. Alors, n'écoutant que votre courage, vous vous décidez à monter et vous découvrez là une bien étrange créature. Une très vieille femme très en colère, une icône que le monde entier pensait morte depuis longtemps. 
Une héroïne de l'Histoire bien décidée à rétablir sa vérité...
J'ai aimé !

Comment exprimer mon excitation lorsque j'ai appris que Shalom Auslander, l'hilarant juif traumatisé (dit comme ça, c'est un peu bizarre...), sortait un nouveau livre ? Et pas n'importe quel livre : son premier roman. Auteur jusqu'ici de la tordante fiction autobiographique La lamentation du prépuce et du très drôle recueil de nouvelle Attention, Dieu méchant, Shalom Auslander repousse une fois de plus toutes les limites de l'impertinence avec ce nouveau titre qui met en scène le pauvre Solomon et (si vous ne l'aviez pas encore deviné en lisant le résumé)... Anne Frank. A présent très âgée, elle survit depuis des années dans le grenier de la bâtisse achetée par les Kugel car :
1) Elle ne sait pas vivre autrement
2) Elle a besoin de calme pour écrire son nouveau roman. Après 32 millions d'exemplaires vendus, elle ne doit pas se planter !
Personne ne voulait d’Anne Frank vivante. Les gens voulaient une martyre, car c’était la preuve que le point de non-retour avait été atteint, la preuve que ça allait mieux parce que ça ne pouvait pas être pire.
Loufoque, vous avez dit loufoque ? Totalement ! Et c'est ça qui est bon : Shalom Auslander ne recule devant aucune impertinence et applique à la lettre la maxime selon laquelle on peut rire de tout... Mais derrière cette apparente effronterie se cache, comme dans tous ses autres écrits, une réflexion plus grave et plus profonde sur les croyances et le devoir de mémoire. Loin d'être totalement gratuit, ce récit hautement irrévérencieux nous interroge longtemps sur la façon dont l'Histoire est construite et surtout transmise.
Je suis convaincu que chaque matin Adolf Hitler se réveillait et prenait son café en se demandant comment rendre le monde meilleur. Nous connaissons tous sa réponse, mais ce qui compte surtout, ici, est la question. La seule chose plus ridiculement optimiste que la solution finale est la conclusion stupide qu'elle a inspirée: "plus jamais ça!" Combien de fois cela s'est-il reproduit, depuis ce "plus jamais ça"? Trois? Quatre? Et je parle de ce dont nous avons eu connaissance... Mao, Staline, Pol Pot sont des optimistes! Voici une règle utile si vous voulez survivre, Kugel. Quel que soit l'endroit où vous habitez, celui où vous êtes né, quand quelqu'un se dresse devant vous et promet que tout ira mieux, prenez vos jambes à votre cou. Fuyez, cachez-vous. Les pessimistes n'installent pas de chambres à gaz.
Si j'ai trouvé que la façon dont était construite la narration (dialogues indirects, nombreux retours à la ligne et répétitions voulues) ne permettait pas de rentrer aussi facilement dans le récit que ses deux précédents ouvrages, je ne peux qu'applaudir des deux mains cette histoire jubilatoire qui fait la part belle tant aux scènes complètement absurdes qu'aux tirades fulgurantes de justesse et de lucidité, comme en témoignent les extraits ci-dessous...
Et pourtant, monsieur Thomason, ne serait-ce pas fabuleux si quelques chaises pouvaient sauver la planète ? Si c'était le cas, je serais le plus heureux salaud de la terre, croyez-moi. Nous avons des chaises de bureau en fibre de chanvre, monsieur, Thomason, un matériau tout ce qu'il y a de plus écolo. Du mobilier en chanvre, qu'est-ce que vous en dites ? Quand le niveau des océans va monter et que nous serons tous morts noyés, vous aurez toujours quelque chose à fumer ! Mais les mers ne vont pas déborder, monsieur Thomason, je ne veux pas que vous vous fassiez du mouron pour ça. Après toute cette affaire avec Noé, Dieu en personne a promis qu'Il ne nous noierai pas et, putain ! si on ne peut pas faire confiance à Dieu, monsieur Thomason, on est tous foutus. Vous saviez qui voulait sauver la planète ?Hitler. Allô ?
Désormais, on payait surtout pour ce qu'on n'aurait pas : pas de sodium, pas de fructose, pas d'extrait de maïs, pas de glutamate, pas de graisse, pas de fibre, pas de colorant, pas de blé, pas de farine, pas de sucre, et à chaque ingrédient qui n'était pas inclus, le prix augmentait. Une seule de ces boîtes, sans poison, toxine, pesticide, sans notice de mise en garde énumérant les effets secondaires possibles et les réactions négatives, une seule boîte de quelque chose qui ne représentait pas de danger pour les femmes enceintes ou ne nécessitait pas de consulter votre toubib avant de l'ouvrir, en gros, une boîte remplie d'air, vous aurait obligé à contracter une deuxième hypothèque.
Rester en vie coûtait les yeux de la tête.
L'espoir, cette tragédie, Shalom Auslander
Éditeur : Belfond
Paru en 2013
326 pages
20 €
ISBN 978-2-7144-5302-0

3 mot(s) doux:

  1. C'est décapant. Je ne connaissais pas du tout. j'ai hâte de l'acheter. Ma liste d'envies va bientôt dépasser ma P.A.L. J'avais pourtant dit "pas de nouveaux livres avant d'avoir fini cette pile". Je vais faire une entorse à mapropre règle. Merci pour cette découverte.

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  2. Wouah je vais très vite noter ce titre, il a l'air vraiment bien :)

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