14 janvier 2014

13/01/14 - Vernissage et conférence Blacksad


Aujourd'hui, si tout le monde m'évite, si j'ai perdu 50 amis sur FB, si mon nom a disparu d'un certain nombre de répertoires téléphonique, bref, si tout le monde me hait de haine pure, c'est parce que j'ai assisté hier à deux événements en présence de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido, les génialissimes auteurs de Blacksad.

17h, je me dirige avec ma comparse Mathilde vers la BU de la Manufacture (Université Jean Moulin Lyon 3), dans le 8ème arrondissement de Lyon. Le pas guilleret, l'œil vif, le poil brillant, nous nous rendons -toute frétillantes- au vernissage de l'exposition organisée dans le cadre du cycle franco-suisse "La BD à l'université ?!" (en partenariat avec Dargaud, Lyon BD et l'Association des Élèves de l'École Émile Cohl, la Bibliothèque Municipale de Lyon, l'Université de Neuchâtel et le Larhra). 

La vaste salle se remplit peu à peu ; nous y retrouvons Charlotte et Marion, qui ont travaillé à la reproduction en grand format de cases de Blacksad et participé à la scénographie avec Sandrine Deloffre, coordinatrice du Lyon BD Festival. J'aperçois quelques têtes familières (Kieran, on t'as reconnu sous ton bonnet !) ; les discussions vont bon train et, après l'allocution de rigueur, le buffet nous tend ses petits bras (non, on ne perd pas le nord !)

Une exposition réussie, qui entremêle texte et image de façon didactique... Si vous voulez la voir, dépêchez-vous, c'est jusqu'au 24 janvier !


La collation est suivie d'une conférence publique dans l'auditorium Malraux, lui aussi vite bondé. Sur l'estrade, Paul Chopelin, maître de conférence en histoire moderne à Lyon 3, Juan Diaz Canales, Juanjo Guarnido et Philippe Delisle, professeur d'histoire contemporaine à Lyon 3. Est également présent dans la salle, François Le Bescond, directeur éditorial adjoint chez les éditions Dargaud. 


Et voilà un peu ce qui s'est dit...

Le choix de Blacksad pour cet événement n'est pas anodin, puisque les représentations animales dans la littérature et les sciences humaines sont un sujet fréquemment interrogé par Lyon 3 (en témoigne l'essai Milou, Idéfix et Cie - Le chien en BD paru en 2012). L'animal, souvent associé au monde de l'enfance, fait son apparition dans la BD pour adulte au tournant des années 70 ; sa figure s'éloigne du trait humoristique traditionnel de la BD américaine pour y prendre des accents très noirs, comme le célèbre Canardo de Sokal. Blacksad s'inscrit dans cette veine réaliste.

Philippe Delisle pose la question de l'appartenance raciale de Blacksad, élément central du tome 2, où le célèbre matou se heurte à un groupe radical d'animaux blancs.
Pour Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido, la couleur de Blacksad est avant tout symbolique, et ne revêt pas de valeur réelle (Blacksad n'est pas à proprement parler une représentation d'afro-américain). A dire vrai, les deux auteurs n'y avaient pas fondamentalement réfléchi jusqu'à ce deuxième tome, qui a donné une toute autre profondeur à ce détail qu'ils voulaient avant tout représentatif du caractère de Blacksad, renfrogné et taciturne. "Si tu es différent, tu as des problèmes", souligne Juan Diaz Canales, qui explique ensuite que plus que la couleur, c'est l'altérité, le caractère différent qui est important : plumes, poils, tout est prétexte à traiter du racisme.

Paul Chopelin aborde ensuite l'aspect visuel des personnages, leur part d'expressions humaines et animales, et surtout la question du "casting".
Juanjo Guarnido fait remarquer que la plupart des animaux sont davantage humains (il n'y a qu'à comparer le profil de Blacksad et celui d'un chat !), notamment les femmes qui correspondent aux canons de beauté humaine. Les deux auteurs travaillent beaucoup au feeling, mais s'appuient également sur une riche iconographie et la tradition populaire, qui veut que l'on prête telle qualité ou tel défaut à un animal en particulier. Les fables de la Fontaine, les travaux de Charles Lebrun, premier peintre du roi Louis XIV, les dictons populaires, les légendes urbaines et même les inspirations commerciales sont autant de sources que les auteurs exploitent. Juanjo Guarnido souligne que tous ces choix sont avant tout narratifs, et doivent servir le récit d'une manière symbolique forte, même s'il s'amuse parfois avec des contre-emplois (un cheval qui incarne un personnage méchant).
Concernant la part d'animalité des personnages (certains ont une queue, d'autres sont absolument humanisés), Juanjo Guarnido révèle que cela dépend beaucoup de l'effet voulu. Le comique est l'un des moteurs puissants de ces choix graphiques ; certaines fois, cela s'impose naturellement comme avec le personnage du gorille, beaucoup plus impressionnant tel quel qu'humanisé.


Paul Chopelin s'intéresse aux sources d'inspiration qui ont guidé les auteurs dans la voie du polar.
Pour Juan Diaz Canales, le polar est un genre jeune qui parle des problèmes de la société : racisme, corruption, problèmes économiques et sociaux... L'aspect documentaire est omniprésent, et Juanjo Guarnido lance un tonitruant "Je crois que ça se voit que je m'éclate !", lui qui évoque ensuite de nombreuses références cinématographiques (notamment Le faucon Maltais de John Huston), et précise qu'il voulait faire dès le départ de Blacksad un personnage non intrinsèquement violent, à l'image de Sam Spade.

François Le Bescond prend ensuite la parole pour répondre à la question "Comment édite-on une série comme Blaksad ?".
Il répond, avec humour, qu'il n'y a pas grand chose à faire, le travail des deux auteurs étant déjà incroyablement bon. Il conclut sa brève réponse par une phrase qui a l'air de toucher grandement les auteurs : "Ils ont des qualités humaines à la hauteur de leur travail."

Le micro circule ensuite dans le public ; voici quelques points abordés :
Culture américaine : Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido ont placé Blacksad en Amérique de façon assez naturelle, notamment grâce à l'ambiance des vieux films noirs qu'ils voulaient donner à la BD. Juan Diaz Canales s'avoue très sensible à la mode, au design et à l'architecture des années 50, et parle avec émerveillement de ces coins de rues de New York qui, si l'on oublie les fils électriques et publicités géantes, n'ont pas bougé d'un poil depuis l'époque de la prohibition. Juanjo Guarnido ajoute qu'ils ont beaucoup de plaisir à avoir des contacts directs avec les États-Unis ; il évoque notamment New Orleans, dont il est tombé amoureux. Pour lui, il est indispensable de se rendre sur place pour s'imprégner de l'ambiance, comprendre le milieu dans lequel il fait évoluer ses personnages. Il regrette d'ailleurs beaucoup de ne pouvoir se rendre à chaque fois dans les lieux où il place ses histoires.


La manière dont ils s'influencent et travaillent ensemble : ils se connaissent depuis longtemps, et sont tout deux issus du milieu de l'animation, où montrer son travail et avoir l'avis des pairs est primordial, plus que dans le milieu de la BD pure qui est une activité assez solitaire.

Une adaptation de Blacksad sur d'autres médias : cinéma, animation, jeux vidéos ? Juan Diaz Canales explique alors qu'il aime garder le contrôle sur son histoire, ses personnages, et qu'en outre ce genre de projet coûte beaucoup d'argent et prend beaucoup de temps. Il finit par nous dire que les droits de Blacksad ont été acquis, mais que le projet est loin d'avoir vu le jour...

L'aquarelle : "Les gens qui fabriquent du papier satiné aquarelle devraient être pendus en place publique !" s'exclame Juanjo Guarnido, qui reconnaît que l'aquarelle, contrairement aux encres ou à l'acrylique, n'est pas du tout adaptée à la bande dessinée. Il avait très envie de travailler cette technique lorsqu'il a commencé et s'est maudit de nombreuses fois ensuite, mais il a réellement l'impression d'avoir progressé. Il porte un regard amusé sur les joies et les misères du numérique : "c'est jouissif de faire pomme Z et de pouvoir virer tout ce que tu as raté, mais quand ça plante, tu te dis : depuis combien de temps j'ai pas enregistré ? 3h ? Je recommence ou je vais me coucher ? Allez, je vais me coucher !".

Et sur ces bonnes paroles, la conférence touche à sa fin. Quelques personnes s'approchent dans l'espoir de faire dédicacer leur exemplaire, d'autres s'emparent du joli catalogue créé pour l'occasion ; de notre côté, nous terminons notre soirée de la façon la plus agréable qu'il soit : autour d'une bonne bière et d'une currywurst au Kaffee Berlin

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