Périlleux exercice que celui de chroniquer un recueil de poésie, d'autant plus lorsqu'il s'agit de notre poète préféré. C'est le double pari que j'ai voulu relever à l'occasion du challenge ABC 2012. En 2011, c'est déjà la lettre R avec Rimbaud qui avait fait l'objet d'un article sur ce blog, avec un recueil auquel il m'avait été difficile de donner une appréciation globale tant l'exercice m'était inhabituel, d'autant que l'ouvrage présentait des œuvres extrêmement diverses. Cette fois-ci, c'est un coup de cœur franc et massif pour cette compilation de poèmes lumineux et sensibles, qui n'ont cessé de me donner des frissons.
Claude Roy est mon poète préféré depuis que j'ai découvert La nuit, lorsque j'étais adolescente. Ce poème n'a pas cessé de m'accompagner depuis, et je ressens toujours la même émotion lorsque je le relis...
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de loup de fougère et de menthe
voleuse de parfum impure fausse nuit
fille aux cheveux d'écume issue de l'eau dormante
Après l'aube la nuit tisseuse de chansons
s'endort d'un songe lourd d'astres et de méduses
et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons
veille sur le repos des étoiles confuses
Sa main laisse glisser les constellations
le sable fabuleux des mondes solitaires
la poussière de Dieu et de sa création
la semence de feu qui féconde les terres
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de mer de feu de loup de piège
bergère sans troupeau glaneuse sans épis
aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige.
Poésies rassemble de façon plus ou moins thématique environ 80 poèmes qui excèdent rarement deux pages. Contrairement au recueil de Rimbaud où une grande partie était en prose, les écrits de Claude Roy sont très classiques dans leur construction ; les poèmes s'avalent donc avec une facilité et une rapidité déconcertante car le schéma est très vite intégré. J'ai été frappée par l'unité et la cohérence qui se dégagent de cette anthologie modelée autour de motifs récurrents tels que la nature, la quête et l'effacement de l'identité, le déchirement, la disparition, l'autre ou encore l'amour perdu ou retrouvé. Ces mélodies parviennent à me toucher d'une façon que je ne saurais vraiment expliquer. Les poèmes de Claude Roy sont à la fois profondément mélancoliques, apaisants et vivifiants : chaque strophe est un appel à l'éveil des sens et à la redécouverte des beautés qui nous entourent avant que le temps, fugace, ne nous efface. Et quel meilleur moyen de vous donner l'envie de lire ce recueil que d'en citer quelques paragraphes ?
Claude Roy dites-moi qui est-ce
Je l'ai bien connu autrefois
C'est un homme d'une autre espèce
un visiteur que je reçois
Je m'étonne du nom qu'il porte
comme du nom d'un étranger
J'attends toujours qu'il glisse ou sorte
de ce corps un peu mensonger
[Chanson des Antipodes]
Je te reconnaîtrai quand tu viendras pieds nus
sur les sentiers brûlants d'odeurs et de soleil
les cheveux ruisselants sur tes épaules nues
et les seins ombragés des palmes du sommeil
[Petit matin]
Ne passez pas vos jours à vous passer de vie
Ne passez pas l'amour à vous passer de temps
Ne passez pas le temps à attendre la nuit
ni les neiges d'antan
Car votre mort en vous se moque de vos pièges
et se glisse au serré du plus tendre baiser
remonte à la surface et plus vive que le liège
plus souple que l'osier
s'empare de ce cœur qui se croyait léger
l'alourdit le surprend le presse et le défait
et fait de ce vivant de vivre soulagé
un mort très stupéfait.
[Contre-temps]
Poésies, Claude Roy
Éditeur : Gallimard
Collection : Poésie
Paru en 2006
177 pages
8 €
Il y avait très longtemps que je n'avais plus lu la poésie de Claude Roy. Merci pour ces passages.
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