05 avril 2011

Les cerfs-volants de Kaboul, Kahled Hosseini

Dans les années 70 à Kaboul, le petit Amir, fils d'un riche commerçant pachtoun, partage son enfance avec son serviteur Hassan, jeune chiite condamné pour ses origines à exécuter les tâches les plus viles. Liés par une indéfectible passion pour les cerfs-volants, les garçons grandissent heureux dans une cité ouverte et accueillante. Ni la différence de leur condition ni les railleries des camarades n'entament leur amitié. Jusqu'au jour où Amir commet la pire des lâchetés... Eté 2001. Réfugié depuis plusieurs années aux Etats-Unis, Amir reçoit un appel du Pakistan. "Il existe un moyen de te racheter", lui annonce la voix au bout du fil. Mais ce moyen passe par une plongée au coeur de l'Afghanistan des talibans... et de son propre passé.

J'avais entendu beaucoup de bien de ce livre, et je suis très touchée par le quotidien de l'Afghanistan et du Pakistan depuis la lecture de Trois Tasses de Thé de Greg Mortenson et de sa suite, Sur ces pierres, tu bâtiras des écoles... Je n'ai donc pas hésité une seule seconde lorsque cette lecture commune a été proposée. Les cerfs-volants de Kaboul est l'histoire à la fois ordinaire et extraordinaire d'une amitié et d'une trahison. J'ai beaucoup apprécié l'ouverture du roman sur ce coup de téléphone, qui intrigue et permet de donner le ton de l'histoire. Enfants, Hassan et Amir entretiennent une amitié sans faille. Mais Amir est un pachtoun et Hassan un hazara, un serviteur. Avant d'aller plus loin dans l'analyse du livre, je vous livre quelques informations sur ce peuple et son histoire afin que vous puissiez saisir le mieux possible les implications sociales et politiques de ce fait.

Les hazaras, mentionnés pour la première fois en 1417 faisaient vraisemblablement partie de groupes mongols nomadisant à l'est de l'Altaï, qui se sont mis en mouvement vers l'ouest. Ils parlent le hazâragi, un dialecte persan avec quelques mots d'origine mongole et turque, et représentent 10 à 12% de la population afghane. Ils sont principalement chiites. La principale ville du Hazâradjat (« le pays des Hazaras ») est Bâmiyân. Les hazaras ont un lourd passé de discrimination. Il furent réduits en esclavage par de nombreuses autres ethnies à cause de leur attachement au chi'isme dans un environnement très majoritairement sunnite, mais aussi en raison leur extrême pauvreté qui les contraignait à l'exil et à accepter les tâches les plus humbles et les plus pénibles. Récemment, les hazaras furent décimés par les talibans qui cherchaient à réinstaurer la "pureté de la nation". Pour parachever leur occupation du Hazâradjat, les talibans ont procédé en mars 2001 à la destruction des Bouddhas géants de Bâmiyân. Aujourd'hui, les Hazaras font toujours l'objet de diverses discriminations et sont en butte à l'hostilité de certaines ethnies pour des raisons territoriales.


Dans ce contexte, l'amitié d'Amir et Hassan semble relever du miracle, mais une fois ces considérations mises de côté, ils ne sont plus que deux petits garçons espiègles si semblables à tous les petits garçons du monde. Cependant, nous pouvons déceler des failles dans cette fraternité dès le début du roman. Amir se montre souvent égoïste et lâche, jaloux de l'attention que porte son père au petit hazara, et son comportement envers Hassan en présence d'autres pachtouns se transforme :  son meilleur ami ne redevient qu'un simple serviteur. Leur histoire bascule lorsqu'Amir assiste sans intervenir  à des actes de violences envers Hassan. Empli de honte et de culpabilité à l'idée de sa lâcheté, il commet la pire des ingratitudes envers son meilleur ami. Mais l'Histoire rattrape l'histoire : l'arrivée des soviétiques dans le pays oblige Amir et son père à fuir l'Afghanistan pour le Pakistan puis l'Amérique. Amir grandit, fait des études, obtient ses diplômes et se marie avec Soraya, un belle afghane. Mais sa culpabilité continue de le ronger intérieurement, et comme une malédiction divine, le couple apprend qu'il ne peut avoir d'enfants. C'est à ce moment que survient le coup de téléphone qui va permettre à Amir de changer son destin et de racheter ses péchés.

Khaled Hosseini manie la plume avec finesse et subtilité. Le récit est ciselé, puissant, terriblement émouvant. L'histoire de ce drame permet à l'auteur d'exprimer son amour pour son pays meurtri par les guerres et le fanatisme incessant et l''Histoire se mêle habilement à l'histoire. L'auteur analyse avec justesse la palette des sentiments qui agitent l'âme humaine, notamment au travers du personnage d'Amir, si facile à blâmer pour sa lâcheté et son ingratitude mais au final si proche du commun des mortels. La perpétuelle opposition avec Hassan, être lumineux et dévoué puis martyr, accentue encore la noirceur d'Amir et en fait un antihéros auquel il est si simple de s'attacher. La religion est omniprésente, dans tout ce qu'elle d'absurde et de magnifique, et l'auteur nous fait prendre conscience de la multiplicité des interprétations possibles d'un même texte -en l'occurrence le Coran.

Ce récit m'a beaucoup émue par la force de son écriture et la multiplicité des degrés de lecture. L'auteur, en jouant constamment sur le tableau du général et particulier, histoire personnelle et histoire collective, nous offre un panorama complet et complexe de la psychologie humaine. Ma seule retenue est envers le pessimisme de ce récit, qui se conclut par des évènements très sombres et l'intime conviction qu'il n'est pas possible de réparer complètement ce qui a été brisé. Je ne suis pas opposée à cette opinion, loin de là, mais j'ai trouvé que l'auteur rajoutait inutilement de la souffrance dans un récit déjà lourd et cruel.

Les cerfs-volants de Kaboul, Kahled Hosseini
Éditeur : 10/18
Collection : Domaine étranger
Paru en 2006
405 pages
8.60 €
ISBN2-264-04357-1


 Film réalisé par Marc Forster (2008),
avec Khalid Abdalla, Homayon Ershadi, Saïd Taghmaoui

J'ai trouvé le film assez fidèle au livre, bien que certains passages aient été supprimés. Il est très agréable et enrichissant de pouvoir mettre des images sur des lieux que l'on ne voit généralement que détruits et désolés dans les reportages du journal télévisé. Oui, l'Afghanistan est un beau pays, Kaboul fut une capitale magnifique et pleine de charme, et la vie là-bas ne fut pas si éloignée de la notre. Ces images décuplent le sentiment d'horreur que l'on ressent lorsque l'on voit actuellement ce qu'est devenu le territoire afghan.
Les acteurs sont crédibles et biens choisis, mais ce que j'ai préféré par dessus tout est la bande son extraordinaire, qui m'a véritablement transportée. Allez l'écouter par ici !

6 mot(s) doux:

  1. Merci pour cet avis très complet surtout sur les Hazaras, c'est très intéressant. La vision de l'auteur est peut-être pessimiste mais j'ai trouvais que ça se finissait sur une infime lueur d'espoir malgré tout, du moins concernant l'histoire personnelle d'Amir.

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  2. ce billet est vraiment complet.je ne trouve pas ,par contre ,que l'auteur rajoute du pessimisme..
    je pense que ce peuple souffre je suis heureuse en France.
    merci pour cette belle analyse.

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  3. Très belle chronique !

    Je suis, comme toi, restée sur une impression de "trop" qui est peut-être due au pessimisme ! je crois surtout que j'aurais trouvé charmant que l'auteur stoppe son histoire à son retour en Iran et n'ajoute pas la partie sur l'acte de Sorhab...

    Biz

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  4. C'est vrai que ta chronique est très intéressante ! j'avoue ne pas être très calée sur la partie historique...
    J'ai trouvé que la fin se terminait quand même sur une petite lueur d'espoir. Mais je partage aussi ton avis, le livre reste teinté de pessimisme.

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  5. Merci à tous !
    La partie historique me tenait vraiment à cœur car j'ai déjà eu l'occasion de m'intéresser à la diversité des peuples de l'Afghanistan/Pakistan et qu'un peu de culture G fait toujours du bien ^^
    Concernant le "pessimisme" dont je parle, je fais surtout référence à la toute dernière partie du livre, les évènements qui se déroulent à l'hôtel. Pour moi c'est un peu trop, et le récit s'essouffle un poil je trouve. Le réalisateur a du être de mon avis car il a zappé la scène ^^4Bref, ça reste quand même un vrai coup de cœur !

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  6. Comme toi j'ai regardé le film et c'est vrai que j'ai beaucoup aimé pouvoir mettre des images sur les lieux décrits dans le livre :)

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