Au fond de la fosse 9 et 9 bis, Orfeo, un jeune mineur, accompagne vers la sortie Pigeon, vaillant cheval qui, après des années de labeur dans la mine, s'apprête à prendre sa retraite. Au lieu d'émerger au pied du chevalement qui surplombe le puits, Orfeo et Pigeon se retrouvent devant le musée du Louvre Lens, vide de tout visiteur. Cette mystérieuse traversée du temps, entre rêve et questionnements, demeure inexpliquée.
Orfeo, frappé par la beauté du lieu, parcourt le musée avec son cheval. Au cours d'une déambulation suspendue, il dialogue avec les œuvres, antiques, classiques, sacrées ou audacieuses, soudain douées de vie et de mouvement.
J'ai aimé !
De l'ombre à la lumière... C'est l'heure du chevalement pour Pigeon. Après 10 ans de bons et loyaux services dans la mine, le cheval, qui n'a pas vu le jour depuis tout ce temps, est remonté à l'extérieur. Avec un peu de chance, il s'acclimatera et coulera une retraite paisible dans un pré du coin, mais il risque probablement davantage de mourir rapidement : le choc sera brutal. Orféo l'accompagne. Lui, qui a pris soin de Pigeon et travaillé à ses côtés pendant des années sera le Charon : passeur, il guidera l'animal jusqu'en sa dernière demeure. Mais à la sortie de la mine, Orféo et Pigeon ne trouvent pas le paysage habituel. Une construction de verre et de béton, vaste, silencieuse, se dresse à côté des terrils. Ils entrent.
Déambulation mélancolique dans le Louvre-Lens. A l'opposé de David Prudhomme et de sa Traversée du Louvre, pleine de visages et de vie, L'art du chevalement est un parcours empli de silences et de soupirs. Au passage d'Orféo et de Pigeon, les œuvres d'art du musée désert s'animent, se réveillent. A la fois curieuses et distantes, elles parlent d'elles-mêmes et des autres, et interrogent le jeune mineur sur son travail. Chaque rencontre attise les souvenirs d'Orféo : le sourire mystérieux du Jeune homme nu (540 av JC) lui rappelle le visage riant de son ami Dédé, les fesses de l'Hermaphrodite endormi lui évoquent les douces rondeurs d'Yvette, son amour de jeunesse. Ou comment l'art nous interroge sur notre propre vécu.
- L’art n’a pas pour vocation d’être agréable.
- Il sert à quoi alors ?
- A rien. Rien d’utile. C’est là sa valeur. L’art permet de se défaire du monde pragmatique, du monde des tâches à accomplir. Il transporte vers l’essentiel, vers l’invisible, un lieu à part. Il est l’occasion d’un vécu intense.
Si j'ai beaucoup aimé le fond et le propos de cette BD, comme toutes les autres parues dans la collection Louvre/Futuropolis, je suis un revanche bien plus mitigée sur la forme. "L’art n’a pas pour vocation d’être agréable" : voilà une citation que l'on pourrait sans doute appliquer à L'art du chevalement... Je n'ai trouvé aucun plaisir visuel dans ce dessin mou et ces traits brouillons, sans parler de cette morne palette de couleurs qui charge le récit d'une tristesse insondable. L'histoire, déjà fort douloureuse et funèbre, se serait à mon avis bien passée de ces illustrations vaporeuses et de cette mise en case trop classique. Quelques illustrations en pleine page, à la construction plus osée, viennent parfois casser cette routine, mais elles sont malheureusement bien trop rares pour donner un véritable souffle à cet album. On le referme avec une impression de déprime et de mollesse qui prend le pas sur les questionnements pourtant intéressants qui jalonnent le récit. Même la pirouette finale, pourtant pleine de douceur, ne parvient pas à tirer L'art du chevalement de la grisaille dans laquelle il s'étouffe. Dommage, car l'idée de faire se confronter les mondes de la mine et du musée, en plus d'être originale, donne lieu à une réflexion captivante (le lecteur trouvera d'ailleurs en fin d'album un lexique comparé et sera surpris du nombre de termes partagés par les deux milieux qui semblent pourtant si distants). L'aspect documentaire, que certains jugeront trop présent, est à mon goût parfaitement contrebalancé par la perspective mystique, magique, presque incantatoire de ces œuvres d'art qui prennent vie pour guider le visiteur. Un beau voyage donc, malheureusement pas aussi abouti dans sa forme que dans son fond.
L'art du chevalement, Loo Hui Phang & Philippe Dupuy
Éditeur : Futuropolis
Collection : Le Louvre/Futuropolis
Paru en 2013
57 pages
15 €
One shot
One shot
ISBN 978-2-7548-0958-0
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